Salon Lire à Limoges : l’interview de Jean-Luc Marcastel

Du 5 au 7 avril aura lieu le Salon Lire à Limoges, lors duquel vous pourrez rencontrer deux auteurs aux univers très différents : Bertrand Puard et Jean Luc Marcastel. Ils ont tous deux accepté de répondre à notre interview. Découvrez aujourd’hui les réponses de Jean-Luc Marcastel, auteur de la série Louis le Galoup.


« Pourquoi et comment êtes vous-devenu écrivain ?
J’ai commencé à lire très jeune et suis aussitôt devenu boulimique de lecture. Mais alors même que je me plongeais dans des mondes imaginaires, une évidence s’imposait... Je n’étais jamais le héros de ces livres.
Comme il y avait peu de chance qu’un écrivain s’intéresse à mon sort, je décidais d’écrire mes histoires où je me mettais en scène avec les gens que j’aimais. Nous y vivions des aventures extraordinaires dont nous étions, les héros...
Je pris l’habitude de lire mes textes à mes cousins, et comme ces récits leurs plaisaient et qu’ils m’en demandaient d’autres... j’ai continué.
Plus tard, je me suis caché sous d’autres masques, mais derrière chacun d’eux, c’est toujours moi, les gens que j’aime et ceux que je déteste (pour les méchants)...
Ce qu’il y a de merveilleux c’est qu’on peut faire ce qu’on veut avec un simple stylo : détruire la terre en moins de deux lignes, pour la reconstruire, plus belle que jamais, dans les deux suivantes... Conquérir l’amour d’une princesse des étoiles à nulle autre pareille... ou faire dévorer par un monstre un indélicat qui nous aura fait des misères (ça ne lui fera pas mal, mais nous ça nous aura fait un bien fou)...
Un univers infini s’offrait à moi. J’en étais le maître, je pouvais exorciser mes peurs, exprimer mes sentiments, mes doutes, et surtout, je pouvais y inviter les autres en voyage...
J’avais découvert une magie vieille de 5000 ans, celle des mots qui perdurent (à travers la pierre, l’argile, la cire, le parchemin, le papier et l’écran)...


Comment choisissez-vous les thèmes sur lesquels vous écrivez ? Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Au gré de mes désirs. A l’instant où j’écris ces lignes je reviens de Rome, un rêve d’enfant que je réalise enfin, moi qui, depuis que j’ai vu Ben-Hur, nourris une passion pour la Rome Antique, ce monde si éloigné et pourtant si proche de notre société actuelle et de ses questionnements... Devinez donc sur quoi j’ai envie d’écrire la tête pleine des colonnes du forum et de l’ombre du Colisée ?
Mais souvent, le thème principal, ne nous apparait pas tout de suite... Stephen King dit qu’écrire une histoire c’est un peu comme déterrer un squelette de dinosaure, on n’en voit d’abord qu’un petit morceau, la partie affleurante... Tout notre travail va être de la deviner dans son entier, pour la révéler de notre mieux sans l’abîmer.
Mes sources d’inspiration ? Ma vie, les gens qui m’entourent, le monde dans lequel je vis, qui suscite chez moi des questions, des interrogations auxquelles j’essaie de répondre dans mes histoires, consciemment ou inconsciemment. Aussi les livres, les films, les pièces de théâtre... Tout cela se mélange, macère dans ma tête, ressort sous une autre forme.
Le crâne d’un écrivain est une marmite. Plus on y met d’ingrédients, plus ils sont d’origines diverses et de bonne qualité, meilleur est le met qui en résulte. Je conseille donc à mes lecteurs de lire de tout : classiques, ouvrages contemporains, polars, fantastique, poésie... Plus éclectique ont est, plus riche sera notre imaginaire.


Combien de temps mettez-vous pour écrire un roman ?
C’est très variable. Entre un mois (pour le manuscrit non corrigé) et plus d’un an. Cela dépend de la taille du livre, du travail de recherche qui l’accompagne (un livre se déroulant à une époque passée ou dans un pays étranger demandera un important travail de documentation si on est un tantinet perfectionniste) et du temps dont je dispose.
Après viennent la relecture et la correction où interviennent mes impitoyables correctrices : ma mère et ma femme (on ne dira jamais assez combien un regard extérieur, celui de quelqu’un qui vous connaît, mais capable d’être objectif, voire impitoyable, est indispensable). Le plus dur, pour un auteur, est d’apprendre à accepter la critique.


Pour écrire êtes vous plutôt crayon ou/et ordinateur ?
Ordinateur, essentiellement, mais je conserve toujours sur moi un petit carnet et un stylo. On ne peut pas biffer d’un geste rageur sur un clavier. Il y a un temps de latence entre la pensée et le clavier, qui n’existe pas quand on écrit de manière manuscrite, la pensée est plus organisée mais moins spontanée. C’est surement pour ça que je reviens au stylo dès qu’un passage me pose soucis.


Quelles sont les grandes étapes de votre travail d’écriture ?
A l’origine il y a une idée qui me traverse l’esprit et dont j’ai envie de tirer le fil... Ce fil peut rester des années dans un coin de ma tête. Quand l’envie m’en prend, je le teste, histoire de voir ce qu’il y a derrière, puis je le laisse reposer parce que j’ai d’autres projets, je repousse la découverte... Et un jour, si j’ai senti que la pelote était riche, je me lance...
Quand je commence une histoire je connais toujours le début et la fin, jusqu’à la phrase ou la réplique finale et il est très rare qu’elle change (et oui, pour le Galoup j’ai dû attendre 5 tomes pour la placer).
Après je construis le squelette, le plan, afin de savoir le plus précisément possible ce qui se passe entre le début et la fin...
Vient le moment de rajouter de la chair à ce squelette. Je commence donc à résumer l’histoire, chapitre par chapitre, en de courts paragraphes. Cela me permet d’équilibrer le récit, de construire chaque chapitre afin qu’il compose une histoire dans l’histoire et se termine de manière palpitante pour que lecteur n’ait qu’une envie... Tourner la page.
Cette étape peut aller loin, mes synopsis peuvent faire jusqu’à 40 pages.
Il m’est même arrivé d’écrire tous les dialogues, comme une pièce de théâtre. Je n’ai plus eu qu’à "poser la caméra" et à "tourner le film", mettre les ambiances, les décors, ou renforcer l’émotion par des jeux de scène (les fameuses didascalies).
Après vient la rédaction. J’écris d’un jet jusqu’au point final. Je laisse reposer, puis je me livre à la première relecture où le travail essentiel consiste à enlever le superflu. On a toujours tendance à en mettre trop (Stephen King parle de la loi des 10% : on peut toujours au moins enlever 10% d’un texte qu’on a écrit).
Une fois le récit "lifté", je le donne à lire à mes "impitoyables lectrices".


Pouvez-vous nous décrire votre journée type lorsque vous écrivez ?
Il n’y a aucun mystère. Lever à 6H30, déjeuner en famille avant d’amener mon Galoup au collège. De retour chez moi je travaille jusqu’à midi. J’aime travailler le matin, quand l’esprit est clair et acéré. La nuit c’est bien pour laisser son esprit vagabonder mais pas pour un vrai travail d’écriture.
Après la pause, je me remets au travail jusqu’à quatre heures, le soir, une fois tout mon petit monde couché, j’y retourne de 22h à minuit environ, parfois plus…
Il faut s’astreindre à un rythme de travail, écrire tous les jours, même si on a l’impression que c’est mauvais. Quitte à déchirer le lendemain. Il ne faut pas perdre le rythme... L’inspiration ! La belle invention. Si on attendait d’être "inspiré" on n’écrirait jamais une ligne. C’est en écrivant qu’elle vient, pas l’inverse...
Ecrire, avant même le talent de l’auteur, c’est à 90% du travail. Même les plus grands auteurs ont transpiré sur leurs manuscrits. Mais s’ils ont bien fait leur travail, il doit justement être invisible... Comme le disait Céline, le passager qui a payé son ticket pour monter dans notre bateau est là pour voyager et rêver, pas pour visiter les moteurs.


Quelle est la partie de votre travail d’auteur que vous préférez ?
Question difficile... Paradoxalement, je dirais que celle qui m’apporte le plus de joie est celle qui m’occasionne les plus grandes souffrances... La rédaction. C’est là que se révèle l’histoire, quand on "déterre le dinosaure", car on a beau avoir tout planifié, on arrive toujours à se surprendre. Quand l’histoire génère sa propre dynamique, que des personnages qu’on n’avait pas prévus arrivent, se développent et prennent de l’importance, c’est exaltant. Le premier à qui un auteur raconte son histoire, c’est lui même.
Parfois c’est également une souffrance, quand on n’arrive pas à rendre l’émotion, ou dépeindre un paysage, "filmer" une action, comme on le souhaiterait. Il faut parfois se battre avec les mots, réécrire, encore et encore, une scène qui ne nous convient pas...
J’aime les rencontres avec mes lecteurs. Ecrivain est un métier solitaire, et même si j’aime m’enfermer dans ma tour d’ivoire (ou plutôt mon "cabinet de curiosités") j’adore raconter mes histoires, les lire et partager ma passion. C’est mon côté conteur et saltimbanque.


Quelles sont, selon vous, les qualités nécessaires pour être auteur ?

La sincérité, écrire par plaisir, pas par intérêt. Un écrivain écrirait encore même si écrire devenait illégal. Il écrira même s’il n’est jamais publié.
La générosité. Si nous ne voulions pas partager nos histoires, nous ne les proposerions pas à un éditeur, nous les écririons et nous les rangerions dans un tiroir, ou nous les brûlerions.
La persévérance. Quand on me demande comment je fais pour écrire un livre, je réponds : "Une page après l’autre". En écrivant une page par jour, au bout d’un an, on aura un livre de 365 pages. Cela n’a rien de surhumain. Cela ne donnera pas forcément un chef d’œuvre mais certainement un livre.
La patience. Un éditeur dont je tairai le nom m’a un jour dit que c’était la première des vertus d’un écrivain. Il savait de quoi il parlait, il a un de mes livres depuis plus de quatre ans et ne m’a toujours pas répondu.


Quels sont vos projets pour la suite ?
Deux livres doivent sortir cette année : en juin le tome 2 de La geste d’Alban, nouvelle saga dans l’univers du Galoup (Editions Matagot) puis un roman aux éditions Hachette sur lequel je garde le secret pour l’instant…
Le tome 4 du Galoup, La cité de Pierre, devrait sortir au Livre de Poche Jeunesse cet automne et le premier tome de Frankia devrait être réédité en août (éditions Mnemos).
Pour 2014, je travaille sur une trilogie dans une ambiance Indiana Jones/Lovecraft, Les Enfants d’Erebus (éditions J’ai Lu).
Et d’autres projets... Dont une trilogie déjà achevée, Le Simulacre, à la croisée des routes entre Alexandre Dumas et George Lukas mettant en scène un certain mousquetaire...
J’ai un roman sous le coude, Praërie, se déroulant de nos jours, parmi une humanité microscopique subsistant dans la plus terrible des jungles, celle qui s’étend à nos pieds, lui aussi cherche un éditeur...
Je pourrais également citer Chant de Neige et de Sang dans l’univers du Dernier Hiver.
Et puis d’autres projets à divers stades d’évolution. Enfin, j’ai ce projet de trilogie qui me démange encore plus depuis que j’ai visité Rome...
Ce qui m’angoisse, ce n’est pas le manque d’inspiration mais la certitude que je n’aurai jamais le temps de donner naissance à toutes les histoires qui me trottent dans la tête.
Cela veut dire aussi que jamais je ne m’ennuierai tant que je pourrai tenir un stylo, et ça, c’est une pensée rassurante.
L’heure tourne, des héros comptent sur moi pour raconter leurs aventures, alors je vous laisse, je ne voudrais pas les faire attendre. »



Et pour ceux qui nous suivent sur la page Facebook Livre de Poche Jeunesse, voici la réponse à la colle du mois : un « drac », dans le pays du Galoup, désigne une sorte de lutin des terres occitanes qu’on disait fils du diable, si insupportable que son père l’avait mis hors des enfers à coups de pieds dans le derrière, c’est vous dire… Il n’était pas vraiment dangereux, mais très pénible, il faisait des coups pendables aux gens. La seule manière de s’en protéger était de disposer, devant sa porte, d’une petite écuelle avec des grains, le drac ne pouvait s’empêcher de les compter, ce qui l’occupait jusqu’au matin où la lumière du soleil l’obligeait à fuir.


A bientôt pour une nouvelle interview !

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